Histoire du design #2 – La modernité dans le design

Fév 6, 2020

Pour comprendre les grands principes de la modernité dans le design graphique, il convient d’abord de comprendre ce qu’est la modernité, et surtout le contexte qui a favorisé l’émergence de cette philosophie. Philosophie car comme l’écrit Jean Baudrillard, théoricien français, “la modernité n’est ni un concept sociologique, ni historique, c’est un mode de civilisation qui s’oppose au mode de tradition”. La modernité s’applique à critiquer le traditionnel, de la philosophie à la morale, en passant par l’histoire jusqu’à la politique, 

“la critique est son trait distinctif, sa marque de naissance”. (Octavia Paz, prix nobel de littérature 1990). Cette remise en question des valeurs et de la tradition naît à la fin de la première guerre mondiale, dans un monde traumatisé qui souhaite faire table rase avec le passé et une réelle volonté d’oublier l’histoire ou du moins de la réinterpréter. Le Bauhaus puis le mouvement moderne s’appliquent à donner une esthétique au futur, une vision de “l’Homme Nouveau”, contre tout style traditionnel. Les meubles commes les habitations doivent être fonctionnels, en évitant les éléments superflus. Les structures brutes, dépouilles, se passent des décorations, au profit de grandes surfaces lisses et unies. Dans cette philosophie, la beauté résulte du fonctionnalisme et de la qualité des matériaux employés. Les créateurs de meubles et les architectes remplacent les méthodes traditionnelles de par de nouvelles techniques issues de l’industrie moderne comme le recours au verre ou à l’acier. Un des objectifs, créer pour le plus grand nombre, des produits de bonne qualité et à faible coûts. Au delà d’un style, le modernisme s’applique à pratiquement toutes les formes d’expression plastiques. 

Le design graphique influencé par les avant-gardes

Après la révolution impressionniste, des artistes comme Van Gogh s’attaquent à la réinterprétation de la réalité, et au tournant du siècle apparaît par exemple le symbolisme avec Gauguin, ou encore Debussy pour la musique. En 1905 les fauves comme Matisse et Vlaminck utilisent les couleurs franches tandis que l’expressionnisme commence à émerger en Allemagne. Les grandes révolutions sont marquées par la déconstruction. En peinture, le cubisme de Braque et Picasso, le constructivisme de Rodchenko, le futurisme de Marinetti nous mène directement à l’art abstrait avec Malevitch, Mondrian, Kandinsky ou Picabia, puis aux premiers ready-mades de Marcel Duchamp.

Toutes ces terminaisons en “-isme” reflètent des façons nouvelles de voir le monde, et aussi une volonté de proposer un nouveau rapport avec notre environnement. 

Le design graphique, autre forme d’expression créative hérite de façon logique de la même métamorphose moderne. Il suit les mêmes principes fondamentaux et philosophiques du mouvement, des principes que nous catégorisent en quatre rudiments qui sont : 

  1. valoriser l’innovation technique, 
  2. proposer une vision démocrate et sans tradition esthétique,
  3. favoriser le progrès social 
  4. créer une esthétique neutre, lisible et efficace. 

1.Valoriser l’innovation technique

Un des grands principes est la valorisation de l’innovation technique. Si au 19ème siècle, l’accent était mis sur les avancées technologiques et les nouvelles possibilités, la modernité s’est concentrée sur l’exploitation artistique de ces nouvelles techniques. L’imprimerie est devenue banale, la concurrence favorise l’innovation ainsi que les mouvements graphiques qui cherchent à explorer de nouveaux styles et techniques, qui se manifestent rapidement par l’émergence du branding et de la publicité et de précurseurs dans le domaine, tel que Paul Rand ou encore Chermayeff & Geismar Associates.

2.Vision démocrate et absence de tradition esthétique.

De plus, le graphisme moderne repose sur une vision démocratique, qui se veut d’unir le monde à travers une esthétique universelle, sans aucune connotation ethnique et en rompant avec le passé. 

Hitler, en 1934, impose la typographie Fraktur comme “écriture aryenne officielle”, et donc interdite au juif. C’est le parfait contre-exemple du modernisme qui refuse tout nationalisme, et qui souhaite au contraire débarrasser toute écriture de tout particularisme national, unir les peuples par l’écriture, au moyen de la géométrie. Car l’essence de la forme, brute et pure, détachée de toute tradition, réside dans la géométrie, un langage universel. 

Herbert Bayer le reflète bien avec son projet de typographie “Universal”, où les caractères ne sont réduits qu’à l’essentiel, totalement dénotés puisqu’ils sont réduit à la géométrie la plus simple possible.

Les éléments superflus, comme l’ornement, véhiculent une connotation marquée temporellement et ethniquement et représente un effort jugé futil. Rien à voir avec le “Less is more” de Ludwig Mies van der Rohe. Le traditionnel est mis de côté, associé au passé, de façon à laisser place à la nouvelle vision moderne où “L’information présentée le plus objectivement possible est communiquée sans superlatifs, sans subjectivité émotionnelle.” 

À travers cet extrait, Jean Baudrillard, résume la volonté du modernisme, d’unir les peuples à travers un langage universel : Le modernisme, “c’est un mode de civilisation caractéristique, qui s’oppose au mode de la tradition, c’est à dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles : face à la diversité géographique et symboliques de celles-ci, la modernité s’impose comme un langage homogène irradiant mondialement à partir de l’Occident. “

3.Le moderniste croit au progrès social. 

Le mouvement doit “promouvoir un design au service de l’individu et non de la société de consommation” (Tomas Maldonado, directeur de l’école d’Ulm en 1960). À travers ce mouvement, les Une fois encore, il est question ici de fonctionnalisme, avec le design comme réponse à des besoins avant toutes choses. Les nouvelles techniques modernes permettent une production en série, une vente en masse et un design industriel au service de tous. La volonté d’unir les peuples par la conception d’un langage graphique universel et objectif résulte aussi du progrès social, notamment avec cette optique de permettre à tout le monde d’accéder à l’information. 

4.La modernité, neutralité, efficacité et  lisibilité. 

Ce principe peut être résumé par “Less is more “ de Ludwig Mies van der Rohe où  “La simplicité est le facteur décisif de l’équation esthétique”’ (Raymond loewy). Le design doit donc être fonctionnel et minimaliste, réduit à une géométrie logique et simple.  Béatrice Warde d’aclare affirme en 1928, qu’une bonne typo doit être aussi transparente qu’un verre. Illustrant l’idée que la bonne typographie et celle que l’on ne remarque pas car elle remplit ses fonctions sans en perturber la lecture. Helvetica, créée par Max Miedinger, peut être considéré comme la typographie fonctionnelle par excellence, sans subjectivité émotionnelle, écriture officielle de la ville de new york, utilisée sur de nombreux supports informatifs à travers le monde, elle fait inconsciemment parti de notre quotidien. Adolf Loos affirme que “L’homme le mieux habillé, le costume le plus moderne est celui qui attire le moins l’attention”, il en est de même pour le graphisme moderne. Une idée réduite à sa représentation géométrique la plus simple et logique possible permet d’en capturer l’essence et de proposer un résultat intemporel, universel, efficace et lisible. 

En résumé, le design graphique moderne, qui valorise l’innovation technique, tourne la page avec le passé, s’opposant au traditionnel et à l’ornemental. Il prône l’abandon du figuratif au profit de formes abstraites dans le but d’éviter toute connotation et tout particularisme national pour unir les peuples. Dans une approche radicale et logique, la forme n’est réduite qu’à l’essentiel dans une conception des plus géométrique possible, pour proposer un résultat neutre, fonctionnel, et minimaliste au service de tous. Ces grand principes modernes résonnent toujours dans le graphisme d’aujourd’hui.